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La scène de l’aveugle d’Amélie Poulain

31 Août

Un jour, mon portable a sonné en cours et j’avais pour sonnerie « La Valse d’Amélie ». Les 40 étudiants en cinéma de ma classe se sont bien marrés, et la prof a eu une expression mi-dédain mi-dégoût sur la face. Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain fait partie des films méprisés par les cinéphiles. Ah oui, ET des Fatals Picards avec leur chanson Moi je vis chez Amélie Poulain qui critique le monde trop gentil et irréel (absence de minorités visibles) dépeint dans le film. Niais? Pas réaliste? Cucul la pralotte? Bon.

Scène Culte #8 : Amélie Poulain, la scène de laveugle amelie

Le film décrit les petits évènements de tous les jours dont Paris est rempli, ou censé être rempli, dans un monde idéal. Le vent qui fait danser les verres sur la table, par exemple : quand ça nous arrive, c’est chiant. Quand on le voit dans ce film, c’est beau. Pour chaque chose, il y a une manière différente de les voir. C’est ça que veut dire Amélie Poulain. Jeunet voulait livrer son regard à lui, et montrer un Paris sans les métros dégueulasses et les crottes de chien. Ça sert à ça aussi le cinéma, non?
On est d’accord, il y a plusieurs scènes cultes dans ce film, mais il y en a une qui ressort tout particulièrement, de son petit nom « la scène de l’aveugle » .

Lorsque l’on demande à Jeunet la raison de cette scène, il répond « J’ai toujours rêvé de faire ça mais je n’ai jamais eu les couilles pour le faire. Au cinéma, ça passe plus facilement. »

Trois coups de canne blanche qui résonnent contre le trottoir comme au théâtre et hop, Amélie entre en scène dans un petit tourbillon de vie pour une minute. La scène est filmée avec une caméra à l’épaule, pour nous balader dans la foule comme si nous y étions. « Venez, je vais vous aider » . Elle ne se contentera pas de faire traverser le vieil homme mais l’entraînera tout le long de la rue Lepic pour une scène « audio-décrite », donnant à l’aveugle des informations visuelles (la veuve de la fanfare, l’enseigne de la boucherie chevaline qui a perdu une oreille, les prix des fromages), olfactives (les poulets, les melons) et auditives (le rire du mari de la fleuriste).
Enfant, Amélie ne s’est pas approprié les codes de communication traditionnels, elle utilise toutes sortes de moyens pour partager avec les autres (mots, photos, cassettes vidéos, mises en scène), sauf la parole. Cette scène est le seul moment du film dans lequel elle s’exprime sans masque, précisément parce que la personne ne peut pas la voir. Elle se laisse donc aller (en plus en étant tactile avec un inconnu) à un flot de paroles, elle décrit tout ce qu’elle voit et ce qui la touche dans le paysage urbain, comme si elle déclamait une poésie.
Pour finir, elle le laissera devant la station Lamarck-Caulaincourt. Cela pose un petit problème géographique, puisqu’en descendant la rue Lepic comme elle le fait, on atterrit à Pigalle… il aurait fallu la remonter !

Cet aveugle, Amélie l’avait déjà rencontré au métro Abesses avec un phonographe diffusant « Si tu n’étais pas là » de Fréhel. Les gens qui jouent dans le métro, c’est relou. Dans ce film, c’est beau (parce qu’on est pas bousculé par la foule aussi, ça aide). On peut penser que les paroles de la chanson (Si tu n’étais pas là / comment pourrais-je vivre? / Je ne connaîtrais pas / ce bonheur qui m’enivre) sont une référence au cinéma, qui signifierait que sans le rêve et les belles images que peut nous montrer un film, la vie serait beaucoup plus dure. Anecdote : cette scène n’a pas été tournée à la station Abesses, mais sur le quai désaffecté de Porte des Lilas qui sert beaucoup aux tournages parce qu’il est toujours vide.

Scène Culte #8 : Amélie Poulain, la scène de laveugle AmelieBlinde

Il est fréquent de dire que Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain est construit à la manière d’un conte de fées : endroit réel idéalisé (Montmartre) aidé par les filtres verts, jaunes et rouges utilisés, une bonne fée (Amélie), un vieux sage (le peintre), un méchant (l’épicier), des nécessiteux (la buraliste, l’écrivain, le père, la concierge…) et puis ben, un nain. Et aussi des objets mystérieux (le tableau de Renoir, la boîte de Bredoteau, l’album photo…), et dans les étapes : un départ de chez ses parents, des dangers (la foire du Trône et le sex-shop), la punition du méchant, la quête (l’amour de Nino) et enfin la victoire (encore Nino).
Mais cette théorie rodée déplait beaucoup à Jean-Pierre Jeunet qui n’avait pas pensé à cette histoire de fée, mais a glissé dans le film bon nombre de références à Lady Di et Mère Térésa, parce que l’hypermédiatisation de la mort de l’une et l’oubli de l’autre (décédée 6 jours après) lui a bien foutu les boules. Il est donc plus juste de considérer Amélie comme une éventuelle bonne sœur au secours des démunis que comme une fée ou une princesse.

 

Pitch du film : Amélie Poulain, une jeune serveuse dans un café de Montmartre, passe son temps à observer les gens et les petits détails de la vie. Elle s’est fixée un but : faire le bien autour d’elle. Elle invente alors tout un tas de stratagèmes pour égayer ou changer l’existence de ceux qui l’entourent.

A savoir : Le film était censé s’intituler « Amélie des Abesses » mais comme (apparemment) seuls les parisiens connaissaient cette place, la référence n’aurait pas été saisie par tout le monde. | Le film a remporté 4 Césars (meilleur film, réalisateur, décors et musique).