Ma mission de la semaine : parler d’un film ayant reçu la Palme d’Or à Cannes. J’avais bien pensé à Dumbo (sisi, je vous jure), mais un peu régressif. Pulpfiction, déjà fait. Taxi Driver, j’aurais bien d’autres occasions d’en parler dans cette rubrique. Sous le Soleil de Satan, mais je me serai sentie bien seule (si certaines d’entre vous aiment ce film, faites quelque chose, ajoutez-moi sur Facebook, j’en sais rien). J’ai finalement opté pour le meilleur de tous les temps, pourquoi se compliquer ? La Palme d’Or de l’an 2000, Dancer in the Dark de Lars Von Trier (vous ai-je parlé de ma passion pour le cinéma danois?) avec la fantastique chanteuse Björk, dans son premier rôle au cinéma (vous ai-je parlé de ma passion pour Bj… ok, j’arrête).
C’est l’histoire de Selma (Björk), une immigrée tchécoslovaque qui s’installe avec son fils de 12 ans dans une petite ville industrielle des États-Unis, espérant gagner plus d’argent et avoir de meilleures conditions pour se soigner. Se soigner? Ah oui, en plus de trimer d’arrache-pied dans une usine, d’être seule et sans le sou, elle a une maladie qui lui fait perdre la vue petit à petit. Et c’est héréditaire. Elle vit comme une pauvresse pour économiser assez pour l’opération qui sauvera la vue de son fils. Bien sûr, elle cache à tout le monde sa maladie, notamment à son fils (qui ne doit pas s’inquiéter) et son patron (qui voudrait la virer). La seule personne au courant est son amie, Kathy (Catherine Deneuve), une immigrée française.
Parallèlement à cette VDM maxi best of, Selma s’accroche à sa seule passion : les comédies musicales hollywoodiennes. D’ailleurs, son fils s’appelle Gene, comme Gene Kelly. Elle joue même dans un spectacle de la chorale de son quartier où les chansons qu’elle chante sont celles de La Mélodie du Bonheur (My Favourite Things et So Long, Farewell, pour les connaisseuses). C’est dans le seul aspect réconfortant de son existence que se trouve la seconde grande tragédie : être voué à perdre à petit feu ce qui nous faisait tenir. Selma aimait se remplir les yeux des danses pleines de joie et de paillettes de ces comédies, et l’image se floutera petit à petit, jusqu’à disparaître totalement. Un cauchemar de cinéphile, qui est sûrement celui de Lars Von Trier.
La symbolique du sacrifice de la femme est un sujet cher au réalisateur danois (on le retrouve, en plus fort, dans Breaking the Waves). Elle sacrifie, temps, argent, énergie, bonheur (sa vue à elle, son plaisir à elle) et enfin sa vie. En plus d’être un film social critiquant les conditions de travail dans l’Amérique libérale des 60s, les injustices sociales et la peine de mort aux États-Unis (non, je n’ai pas révélé la fin, hum), il met en scène un amour criant pour le cinéma comme spectacle visuel et reste, malgré tout, une ode à la vie et à l’amour.
Au début de l’extrait, Selma retire ses lunettes (qui la représentaient, comme pour Woody Allen et Camélia Jordana un peu) et les jette dans le vide. Moment fortement symbolique : c’est ici qu’elle renonce à tout espoir de guérison pour elle. Sa lutte est terminée. Résignée, elle chante avoir déjà tout vu et relativise les « must see » du monde, tels que les Chutes du Niagara, la Grande Muraille de Chine (ce n’est que de l’eau, ce n’est qu’un mur) pour se concentrer sur l’invisible et oublier toute forme de spectacle. (Vous pouvez pleurer.)
Von Trier utilise la caméra à l’épaule, pratique typique du genre documentaire, pour renforcer le côté réaliste du film et signifier que la misère que vit Selma et qui nous fait hurler d’injustice et pleurer toutes les larmes de notre corps, plein de gens l’ont vécu, la vivent et la vivront encore. Paradoxalement, l’extrait en lui-même est une scène de ballet complètement irréelle : les pêcheurs sur la barque qui font danser leurs cannes, le couple qui étend son linge et fait des pas de danse classique et les ouvriers en rangs organisés dans le train (sans parler de la danse des éléments : lumière et ombres, vent et eau). Les chorégraphies sont très dramatiques. C’est ce dont rêvait Selma en venant s’installer en Amérique : vivre une vie digne d’une comédie musicale. Malheureusement à ce moment, elle ne voit déjà plus ce qui l’entoure.
I’ve Seen It All a obtenu l’Oscar et le Golden Globe de la meilleure chanson originale. C’est Thom Yorke, le chanteur de Radiohead, qui chante à la place de l’acteur (Peter Stormare). C’est le seul moment de tout le film où la voix d’un acteur est remplacée pendant une chanson. De toutes les chansons originales du film, composées par Björk elle-même, celle-ci reste la plus emblématique.
Pitch du film : Selma, une immigrée tchécoslovaque, débarque dans une petite ville industrielle des États-Unis avec son fils, dans l’espoir d’une vie meilleure. Atteinte d’une maladie qui la rend aveugle, elle travaille dans une usine au-delà de ses capacités et des règles de sécurité, afin de réunir assez d’argent pour préserver son fils de la même maladie, mais ses économies attirent des personnes malintentionnées.
A savoir : L’histoire se déroule aux États-Unis, mais toutes les scènes d’extérieur (comme celle-ci) ont été tournées en Suède. | Lars Von Trier, qui est extrêmement barbare dans ses méthodes avec les actrices, raconte que chaque jour, avant de commencer à filmer, Björk venait lui dire « Mr Von Trier, je vous méprise » et lui crachait dessus. Tout un programme !