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Björk chez Lars Von Trier : Dancer in the Dark

31 Août

Ma mission de la semaine : parler d’un film ayant reçu la Palme d’Or à Cannes. J’avais bien pensé à Dumbo (sisi, je vous jure), mais un peu régressif. Pulpfiction, déjà fait. Taxi Driver, j’aurais bien d’autres occasions d’en parler dans cette rubrique. Sous le Soleil de Satan, mais je me serai sentie bien seule (si certaines d’entre vous aiment ce film, faites quelque chose, ajoutez-moi sur Facebook, j’en sais rien). J’ai finalement opté pour le meilleur de tous les temps, pourquoi se compliquer ? La Palme d’Or de l’an 2000, Dancer in the Dark de Lars Von Trier (vous ai-je parlé de ma passion pour le cinéma danois?) avec la fantastique chanteuse Björk, dans son premier rôle au cinéma (vous ai-je parlé de ma passion pour Bj… ok, j’arrête).

Scène Culte #12 : Björk, pleine de grâce dans Dancer in the Dark dancer in the dark 06 g 1024x424

C’est l’histoire de Selma (Björk), une immigrée tchécoslovaque qui s’installe avec son fils de 12 ans dans une petite ville industrielle des États-Unis, espérant gagner plus d’argent et avoir de meilleures conditions pour se soigner. Se soigner? Ah oui, en plus de trimer d’arrache-pied dans une usine, d’être seule et sans le sou, elle a une maladie qui lui fait perdre la vue petit à petit. Et c’est héréditaire. Elle vit comme une pauvresse pour économiser assez pour l’opération qui sauvera la vue de son fils. Bien sûr, elle cache à tout le monde sa maladie, notamment à son fils (qui ne doit pas s’inquiéter) et son patron (qui voudrait la virer). La seule personne au courant est son amie, Kathy (Catherine Deneuve), une immigrée française.
Parallèlement à cette VDM maxi best of, Selma s’accroche à sa seule passion : les comédies musicales hollywoodiennes. D’ailleurs, son fils s’appelle Gene, comme Gene Kelly. Elle joue même dans un spectacle de la chorale de son quartier où les chansons qu’elle chante sont celles de La Mélodie du Bonheur (My Favourite Things et So Long, Farewell, pour les connaisseuses). C’est dans le seul aspect réconfortant de son existence que se trouve la seconde grande tragédie : être voué à perdre à petit feu ce qui nous faisait tenir. Selma aimait se remplir les yeux des danses pleines de joie et de paillettes de ces comédies, et l’image se floutera petit à petit, jusqu’à disparaître totalement. Un cauchemar de cinéphile, qui est sûrement celui de Lars Von Trier.

La symbolique du sacrifice de la femme est un sujet cher au réalisateur danois (on le retrouve, en plus fort, dans Breaking the Waves). Elle sacrifie, temps, argent, énergie, bonheur (sa vue à elle, son plaisir à elle) et enfin sa vie. En plus d’être un film social critiquant les conditions de travail dans l’Amérique libérale des 60s, les injustices sociales et la peine de mort aux États-Unis (non, je n’ai pas révélé la fin, hum), il met en scène un amour criant pour le cinéma comme spectacle visuel et reste, malgré tout, une ode à la vie et à l’amour.

Au début de l’extrait, Selma retire ses lunettes (qui la représentaient, comme pour Woody Allen et Camélia Jordana un peu) et les jette dans le vide. Moment fortement symbolique : c’est ici qu’elle renonce à tout espoir de guérison pour elle. Sa lutte est terminée. Résignée, elle chante avoir déjà tout vu et relativise les « must see » du monde, tels que les Chutes du Niagara, la Grande Muraille de Chine (ce n’est que de l’eau, ce n’est qu’un mur) pour se concentrer sur l’invisible et oublier toute forme de spectacle. (Vous pouvez pleurer.)

Von Trier utilise la caméra à l’épaule, pratique typique du genre documentaire, pour renforcer le côté réaliste du film et signifier que la misère que vit Selma et qui nous fait hurler d’injustice et pleurer toutes les larmes de notre corps, plein de gens l’ont vécu, la vivent et la vivront encore. Paradoxalement, l’extrait en lui-même est une scène de ballet complètement irréelle : les pêcheurs sur la barque qui font danser leurs cannes, le couple qui étend son linge et fait des pas de danse classique et les ouvriers en rangs organisés dans le train (sans parler de la danse des éléments : lumière et ombres, vent et eau). Les chorégraphies sont très dramatiques. C’est ce dont rêvait Selma en venant s’installer en Amérique : vivre une vie digne d’une comédie musicale. Malheureusement à ce moment, elle ne voit déjà plus ce qui l’entoure.

I’ve Seen It All a obtenu l’Oscar et le Golden Globe de la meilleure chanson originale. C’est Thom Yorke, le chanteur de Radiohead, qui chante à la place de l’acteur (Peter Stormare). C’est le seul moment de tout le film où la voix d’un acteur est remplacée pendant une chanson. De toutes les chansons originales du film, composées par Björk elle-même, celle-ci reste la plus emblématique.

Pitch du film : Selma, une immigrée tchécoslovaque, débarque dans une petite ville industrielle des États-Unis avec son fils, dans l’espoir d’une vie meilleure. Atteinte d’une maladie qui la rend aveugle, elle travaille dans une usine au-delà de ses capacités et des règles de sécurité, afin de réunir assez d’argent pour préserver son fils de la même maladie, mais ses économies attirent des personnes malintentionnées.

A savoir : L’histoire se déroule aux États-Unis, mais toutes les scènes d’extérieur (comme celle-ci) ont été tournées en Suède. | Lars Von Trier, qui est extrêmement barbare dans ses méthodes avec les actrices, raconte que chaque jour, avant de commencer à filmer, Björk venait lui dire « Mr Von Trier, je vous méprise » et lui crachait dessus. Tout un programme !

La scène de l’aveugle d’Amélie Poulain

31 Août

Un jour, mon portable a sonné en cours et j’avais pour sonnerie « La Valse d’Amélie ». Les 40 étudiants en cinéma de ma classe se sont bien marrés, et la prof a eu une expression mi-dédain mi-dégoût sur la face. Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain fait partie des films méprisés par les cinéphiles. Ah oui, ET des Fatals Picards avec leur chanson Moi je vis chez Amélie Poulain qui critique le monde trop gentil et irréel (absence de minorités visibles) dépeint dans le film. Niais? Pas réaliste? Cucul la pralotte? Bon.

Scène Culte #8 : Amélie Poulain, la scène de laveugle amelie

Le film décrit les petits évènements de tous les jours dont Paris est rempli, ou censé être rempli, dans un monde idéal. Le vent qui fait danser les verres sur la table, par exemple : quand ça nous arrive, c’est chiant. Quand on le voit dans ce film, c’est beau. Pour chaque chose, il y a une manière différente de les voir. C’est ça que veut dire Amélie Poulain. Jeunet voulait livrer son regard à lui, et montrer un Paris sans les métros dégueulasses et les crottes de chien. Ça sert à ça aussi le cinéma, non?
On est d’accord, il y a plusieurs scènes cultes dans ce film, mais il y en a une qui ressort tout particulièrement, de son petit nom « la scène de l’aveugle » .

Lorsque l’on demande à Jeunet la raison de cette scène, il répond « J’ai toujours rêvé de faire ça mais je n’ai jamais eu les couilles pour le faire. Au cinéma, ça passe plus facilement. »

Trois coups de canne blanche qui résonnent contre le trottoir comme au théâtre et hop, Amélie entre en scène dans un petit tourbillon de vie pour une minute. La scène est filmée avec une caméra à l’épaule, pour nous balader dans la foule comme si nous y étions. « Venez, je vais vous aider » . Elle ne se contentera pas de faire traverser le vieil homme mais l’entraînera tout le long de la rue Lepic pour une scène « audio-décrite », donnant à l’aveugle des informations visuelles (la veuve de la fanfare, l’enseigne de la boucherie chevaline qui a perdu une oreille, les prix des fromages), olfactives (les poulets, les melons) et auditives (le rire du mari de la fleuriste).
Enfant, Amélie ne s’est pas approprié les codes de communication traditionnels, elle utilise toutes sortes de moyens pour partager avec les autres (mots, photos, cassettes vidéos, mises en scène), sauf la parole. Cette scène est le seul moment du film dans lequel elle s’exprime sans masque, précisément parce que la personne ne peut pas la voir. Elle se laisse donc aller (en plus en étant tactile avec un inconnu) à un flot de paroles, elle décrit tout ce qu’elle voit et ce qui la touche dans le paysage urbain, comme si elle déclamait une poésie.
Pour finir, elle le laissera devant la station Lamarck-Caulaincourt. Cela pose un petit problème géographique, puisqu’en descendant la rue Lepic comme elle le fait, on atterrit à Pigalle… il aurait fallu la remonter !

Cet aveugle, Amélie l’avait déjà rencontré au métro Abesses avec un phonographe diffusant « Si tu n’étais pas là » de Fréhel. Les gens qui jouent dans le métro, c’est relou. Dans ce film, c’est beau (parce qu’on est pas bousculé par la foule aussi, ça aide). On peut penser que les paroles de la chanson (Si tu n’étais pas là / comment pourrais-je vivre? / Je ne connaîtrais pas / ce bonheur qui m’enivre) sont une référence au cinéma, qui signifierait que sans le rêve et les belles images que peut nous montrer un film, la vie serait beaucoup plus dure. Anecdote : cette scène n’a pas été tournée à la station Abesses, mais sur le quai désaffecté de Porte des Lilas qui sert beaucoup aux tournages parce qu’il est toujours vide.

Scène Culte #8 : Amélie Poulain, la scène de laveugle AmelieBlinde

Il est fréquent de dire que Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain est construit à la manière d’un conte de fées : endroit réel idéalisé (Montmartre) aidé par les filtres verts, jaunes et rouges utilisés, une bonne fée (Amélie), un vieux sage (le peintre), un méchant (l’épicier), des nécessiteux (la buraliste, l’écrivain, le père, la concierge…) et puis ben, un nain. Et aussi des objets mystérieux (le tableau de Renoir, la boîte de Bredoteau, l’album photo…), et dans les étapes : un départ de chez ses parents, des dangers (la foire du Trône et le sex-shop), la punition du méchant, la quête (l’amour de Nino) et enfin la victoire (encore Nino).
Mais cette théorie rodée déplait beaucoup à Jean-Pierre Jeunet qui n’avait pas pensé à cette histoire de fée, mais a glissé dans le film bon nombre de références à Lady Di et Mère Térésa, parce que l’hypermédiatisation de la mort de l’une et l’oubli de l’autre (décédée 6 jours après) lui a bien foutu les boules. Il est donc plus juste de considérer Amélie comme une éventuelle bonne sœur au secours des démunis que comme une fée ou une princesse.

 

Pitch du film : Amélie Poulain, une jeune serveuse dans un café de Montmartre, passe son temps à observer les gens et les petits détails de la vie. Elle s’est fixée un but : faire le bien autour d’elle. Elle invente alors tout un tas de stratagèmes pour égayer ou changer l’existence de ceux qui l’entourent.

A savoir : Le film était censé s’intituler « Amélie des Abesses » mais comme (apparemment) seuls les parisiens connaissaient cette place, la référence n’aurait pas été saisie par tout le monde. | Le film a remporté 4 Césars (meilleur film, réalisateur, décors et musique).