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Edward aux Mains d’Argent – Tim Burton

31 Août

J’ai l’impression que les films de Tim Burton sont à l’adolescence ce que les Disney sont à l’enfance : un passage obligé, et parfois un amour durable. Dès que je croise un ado, il a écrit The Nightmare Before Christmas (ou autre, mais c’est souvent celui-là) au blanco sur son sac.

Si son esthétique est reconnaissable entre mille, les préférences des fans peuvent diverger de beaucoup, entre ceux qui aiment moins les comédies musicales (Sweeney Todd, Les Noces Funèbres, Charlie et la Chocolaterie), ceux qui trouvent Mars Attacks! trop kitsch, Sleepy Hollow trop sanglant, Big Fish pas assez noir… J’ai décidé de parler d’Edward aux mains d’argent aujourd’hui, parce que 1) c’est le film burtonien par excellence, 2) tout le monde aime ce film. Non?

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Une grand-mère raconte à sa petite fille une histoire pour l’endormir. Un jeune homme, Edward (Johnny Depp), créé par un brillant inventeur, vit seul dans un sombre château. Un soir de Noël, le vieil homme meurt subitement, alors qu’il allait achever son œuvre en offrant deux belles mains à Edward. La pauvre créature est donc condamnée à vivre avec des lames tranchantes à la place des doigts. Un jour, Peg Boggs (Dianne Wiest), une curieuse représentante en cosmétiques, s’aventure dans le château et prend pitié pour la pauvre créature, qu’elle ramène chez elle, dans une typique banlieue américaine. Il tombe amoureux de Kim (Winona Ryder), la fille de Peg, seule personne encore extérieure à la communauté des adultes, qui pourra l’aimer et le comprendre.

Un enfant qui ne veut pas dormir (donc, rêver) pose une question rationnelle à un adulte pour satisfaire sa soif de savoir. « D’où ça vient la neige? » L’adulte connait la vérité, mais va répondre d’une drôle de façon : par un conte. Évidemment, l’enfant n’aura pas la réponse à sa question, mais il aura trouvé le sommeil et pourra rêver tranquillement. Parce qu’il n’y a qu’à cet âge-là qu’on peut le faire. Ici, l’atmosphère est classiquement propice à la lecture du conte : une grand-mère pour narrateur, une petite fille dans son lit, des couleurs chaudes et un feu de cheminée à l’intérieur de la maison, et une nuit enneigée (couleurs froides) à l’extérieur. Burton, en commençant ainsi son film, met le spectateur en condition d’écoute du conte.

Le premier élément du film que l’on voit est le manoir dans lequel vit Edward.
Le décor est planté. Chez Burton, la demeure du héros présente les mêmes caractéristiques : elle est souvent sur une colline (entre ciel et terre), toujours isolée, sombre et aux perspectives farfelues (lignes brisées ou déformées). C’est le cas, par exemple, de celle de Jack Skelligton dans L’Étrange Noël de Mr Jack, celle de Charlie dans Charlie et la Chocolaterie, de Batman, de Beetlejuice et bien sûr d’Edward. Le château d’Edward lui ressemble en tous points : il est sombre, abandonné, inachevé, gris, mais renferme un magnifique jardin aux sculptures incroyables. Au centre de celles-ci, un arbre immense est taillé en forme de main.
Ce type de demeure s’oppose à celles des « autres », toutes identiques, alignées, carrées et colorées. On trouve souvent dans les films de Burton la confrontation classique entre rêves et réalité, mais surtout celle entre conformisme et marginalité. Les êtres « différents » vivent dans une isolation totale, quand les autres vivent en communauté et mènent tous la même existence étriquée.

Le personnage d’Edward, que l’on aperçoit mystérieusement, tourné vers la fenêtre, est presque un mort-vivant. Inspiré de Frankenstein (référence importante de Tim Burton, on la retrouve dans son court-métrage Frankenweenie – qu’il adapte en long en ce moment!), il est présenté comme l’œuvre d’un inventeur, une machine. Il ne saigne pas, mais la tristesse infinie qui se lit dans son regard fait de lui quelqu’un de très humain et nous fait oublier qu’il n’en n’est pas un. La grand-mère le dit : il n’est « pas fini », et c’est l’origine de sa souffrance. Un être incomplet, comme le cavalier sans tête de Sleepy Hollow, décidément. Il est semblable au personnage typique burtonien : solitaire, marginal, pâle, timide et distant.

Vous l’aurez compris, cette scène est la réponse à la question de la petite fille du début.

Il y a un aspect onirique très fort dans cette scène, peut-être plus que dans toutes les autres. Tout d’abord la musique de Danny Elfman (Ice Dance, pour le nom du morceau) : la musique cristalline et les chœurs doux et enchanteurs ajoutés au travelling circulaire dont Kim est le centre la transforment en ballerine d’une boîte à musique. L’arbre taillé en forme de dinosaure et le bloc de glace qu’il taille en forme d’ange – deux créatures « fantastiques » façonnées à partir d’une matière réelle, ajoutent du merveilleux à la scène. Enfin, les flocons de neige sur le ciel noir qui contrastent ensemble et ne sont ni plus ni moins que les éléments physiques qui jouxtent le ciel et la terre.

L’autre élément important de cette scène? Bien sûr : la main. Les mains de chair que Kim agite dans l’air, pour toucher les flocons qu’Edward fait pleuvoir, grâce à ses « mains » à lui. Les gros plans des mains de Kim qui dansent sous les flocons, grâce à l’esthétique du rêve qui les entourent, représentent le rêve d’Edward : avoir des mains, pouvoir toucher, être comme les autres. Elles rappellent l’arbre sculpté en forme de main qui trônait au milieu de son jardin. Ne pas pouvoir toucher sans blesser (ce n’est pas pour rien qu’à la fin de l’extrait il blesse Kim à la main, maladroitement), être incapable de fonctionner comme tout le monde et être rejeté pour cela. Pas besoin d’avoir des ciseaux à la place des mains pour se reconnaître dans ce personnage.

UNE réplique : « – Hold me. – I can’t. » – Kim & Edward

A savoir : Winona Ryder et Johnny Depp étaient en couple lors du tournage de ce film. | Adolescent, Tim Burton avait déjà dessiné Edward, dont la crinière ébouriffée est inspirée de la sienne. | Le nom d’Edward est inspiré d’Ed Wood, réalisateur du fameux film Plan 9 From Outer Space, que Tim Burton adore et à qui il a consacré son film, Ed Wood (1994). | L’inventeur est incarné par Vincent Price, autre idole de Burton, à qui il a consacré un court-métrage, Vincent.

Tout sur ma mère – Pedro Almodóvar

31 Août

Tout sur ma Mère, Pedro Almodóvar (1999). Ou comment j’ai découvert les notions de drogues, putes, travestis et sida. Clap clap. J’avais dix ans, je ne voulais pas dormir et suis allée « tenir compagnie » à ma mère dans sa chambre (alors qu’elle voulait juste être tranquille, je suppose). Grande fan de la culture hispanique et de son réalisateur le plus connu depuis Buñuel, Pedro Almodóvar, elle regardait Todo sobre mi Madre qui passait à la télé. Et je suis restée scotchée, assise sur le bord de son lit, en pyjama. Même si je ne comprenais presque rien. En le revoyant plus tard, on se dit « Ah ouais, ben… Ouais ».

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Pour toutes celles qui n’ont pas pris LV2 Espagnol (on vous l’aura forcément montré en cours) / ne sont pas des fans d’Almodóvar / des filles cachées de ma mère : un récap’. [PS : attachez vos ceintures de chasteté, parce que résumer un Almodóvar, c’est corsé.]

Manuela (Cecilia Roth, la blonde sous la pluie, là) a un métier de rêve : quand quelqu’un meurt dans son hôpital de Madrid, elle gère les dons d’organes (l’annonce aux proches, aux futurs transplantés et autres réjouissances). Elle a aussi un fils, Esteban. Elle ne vit que pour lui, il ne vit que pour elle. Il écrit le scénario d’un film, Tout sur ma mère, qui parle de sa mère et de sa vie, de son métier. Avant, elle était actrice et c’est dans la pièce de Tennessee Williams, Un Tramway Nommé Désir, qu’elle a rencontré le père d’Esteban (qu’il ne connaît pas). Pour ses 18 ans, elle emmène son fils voir une représentation de cette pièce. Il a tellement aimé qu’il oblige sa mère à attendre la sortie des acteurs, sous la pluie, pour avoir un autographe de Huma Rojo (Marisa Paredes), la star de la pièce. Il court après leur taxi avec son carnet, une voiture le percute et il meurt sur le coup. (Désolée pour le spoil.)
Ensuite, Manuela fuira Madrid pour rentrer à Barcelone afin de chercher le père d’Esteban. Sauf qu’il s’appelle Lola, qu’il a le sida et que c’est un travesti qui se prostitue. Elle retrouvera Agrado, une vieille amie travestie elle aussi, refaite de partout mais 100% naturelle, mais également Rosa (Penelope Cruz), une bonne sœur qui s’est AUSSI faite engrosser par Lola et a, par conséquent, chopé le sida. Manuela prendra Rosa sous son aile, car elle se reconnaîtra en elle et voudra prendre soin du bébé, un autre Esteban. Parallèlement, elle se liera d’amitié avec Huma Rojo, l’actrice qui a causé la mort de son fils, et remontera sur scène à ses côtés.

La grande majorité des films d’Almodóvar met en scène des groupes de femmes, car elles incarnent l’origine, non seulement de la vie, mais aussi de la narration et de la fiction : celles qui racontent des histoires à leurs enfants, et qui entre elles s’avouent tout et se mentent. Pour constituer ces groupes, il a ses actrices fétiches. Dans ce film, on en retrouve deux : Marisa Paredes (l’actrice) et Penelope Cruz (la sainte). Les femmes révèlent littéralement « tout sur elles » dans leurs dialogues et leurs attitudes.
La mise en scène souligne ces aspects de recul et de découverte de soi par des miroirs, à comprendre : chaque femme est le reflet d’une autre. Mais aussi par des mises en abîme et la duplicité des personnages qu’affectionne particulièrement Almodóvar : la spectatrice qui se reconnaît dans l’héroïne de la pièce de théâtre, la mère qui revit son histoire par le biais d’une autre, l’homme qui travaille pour être la femme qu’il est réellement. Ce que dit ce film, c’est qu’en toute femme il y a une mère, une actrice et une sainte et qu’en tout homme, il y a une femme.

La mère et le fils regardent un film : All About Eve, avec Bette Davis incarnant une star du théâtre, qui donnera à Esteban l’idée du titre de son scénario, et aussi le titre du film, en anglais : All About My Mother. Pedro Almodóvar dédie ce film à la Bette Davis de All About Eve, à la Gena Rowlands de Opening Night (d’où il s’inspire pour la scène de demande d’autographe sous la pluie) et à la Romy Schneider de L’important c’est d’aimer : trois actrices qui jouent des actrices et qui, avec tout leur esprit (fumée, alcool, solitude, abandon, folie, compréhension et désir), donnent vie aux personnages de Tout sur ma Mère.

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UNE réplique : « Una es más auténtica cuanto más se parece a lo que ha soñado de sí misma. » – Agrado. (« Une femme est la plus authentique quand elle ressemble le plus à ce qu’elle a elle-même rêvé d’être. »)

A savoir : Pedro Almodóvar a été élevé par un groupe de femmes, c’est pourquoi elles ont toujours les premiers rôles dans ses films. | Ce film a remporté le César et l’Oscar du meilleur film étranger, le Prix de la Mise en Scène à Cannes (en 1999) et 7 Goya (les César espagnols).